mercredi 3 novembre 2010

" Sweet Home " d'Arnaud Cathrine

Titre :     " Sweet Home "
Auteur :    Arnaud Cathrine
Editeur :   Editions Gallimard (livre de poche Folio)
                 240 pages
Une maison de vacances sur la côte normande, les étés au bord de la plage, une famille. Le décor serait planté pour un bonheur simple, fait de bains de mer et de douce oisiveté. C’est pourtant un drame qui se profile à l’horizon, à l’horizon des falaises.
Susan, la mère, dépérit de jours en jours et veut mettre fin à son existence. Témoins accablés, son mari et ses enfants redoutent le moment fatidique, qui malheureusement finit par arriver.


Trois étés se déroulent dans ce roman. Trois étés à dix ans d’intervalle. Chacun à leur tour, Lily, Vincent et Martin prennent la parole et tentent d’expliquer le geste de leur mère, de combler le silence pesant dans lequel s’est enfermée leur famille, de se construire au-delà de ce vide qui désormais les habite. Une chose est sûre, même s’ils tentent de se fuir, et de fuir tout simplement, leur fraternité, leurs destins sont liés par ce tragique évènement, tout comme leurs souvenirs sont ancrés en cette villa où ils reviennent chaque été. On les voit grandir, se perdre, prendre des pentes douces et dangereuses mais à la fin, la vie leur apporte une raison de continuer. Pour eux-mêmes d’abord, et puis parce que tant qu’ils vivront, une part de leur mère restera en vie.


« Se peut-il qu’on ait fait tout ce chemin sans elle ? Ce chemin de rien, qui consiste juste à faire ce que l’on peut, avec un trou dans le ventre, devenir qui l’on croit bon devenir, avec cet enthousiasme gris, cette joie toujours rattrapée par un regard lancé au ciel et laissé sans réponse. On aura beau dire, nos constructions hasardeuses ne parviennent pas à se passer d’elle. Combien d’année après ? »


L’histoire commence avec le livre de Lily. C’est à travers son regard que nous est dépeint le point de départ de cette famille. Susan est déjà atteinte de dépression lorsque démarre le roman. Son dernier été à La Viguière sera le plus déchirant pour ses proches. Elle ne sort plus de sa chambre, elle a disparu de sa propre vie. Son mari est désemparé, ne sait que faire, lui qui est déjà brisé par plusieurs années de désamour. À ses côtés, Remo, son frère et double fantomatique, celui dont on n’a attribué aucune vraie place dans cette famille, mais qui reste là, peut-être parce que rien ne l’attend ailleurs, peut-être parce que seule la présence de Susan et de Martin suffit à son bonheur. D’ailleurs, pourquoi témoigne-t-il tant d’affection pour son neveu ? Un secret de famille serait-il derrière tout cela ? Vincent et Lily sont lycéens et ont déjà perdu leur innocence, privilège de l’enfance. Ils ne supportent plus la scène qui se déroule devant leurs yeux et s’interrogent sur les non-dits où se sont mués les adultes. Seule source de lumière et d’insouciance dans ce noueux cocon : le petit Martin, celui qui ne dit rien pour l'instant parce qu’il n’a pas encore les clefs pour interpréter ce dont il est témoin. Nathan, le fils des voisins, ancien camarade d’enfance de Lily et Vincent, refait son apparition. Lui aussi fuit un foyer familial compliqué. Il intègre le noyau constitué autour de Susan et devient le « fils adopté ».


« C’est la première fois que maman reste aussi longtemps rue de la Santé. Je devrais dire Sainte-Anne, mais papa et Remo nous ont appris à dire « rue de la Santé ».
« Santé » et voilà le chien bien muselé, contraint d’étrangler sa rage.
Les deux frères n’ont jamais fait usage des mots qu’à la façon d’une camisole. Ainsi accusent-ils la « fatigue » lorsqu’il est convenu d’évoquer maman : « Votre mère est fatiguée ». De là, l’axiome parfaitement présentable et inoffensif qui veut que la « fatigue » mène tout bonnement « rue de la Santé ».
[…] »


Sept ans plus tard, c’est Vincent qui prend la parole. Vincent est devenu auteur. A travers ses romans, c’est un peu de son chagrin qu’il tente d’évacuer. Cependant, il s’interdit son « livre impossible », celui qui mettrait à jour toutes les cicatrices familiales, celui qui le libèrerait peut-être, mais qui ferait souffrir son entourage. Alors, en attendant, il camoufle ses tourments dans des fictions. C’est le septième été à La Viguière après le décès de sa mère qui nous est décrit à travers ses mots. Martin a bien grandi et le temps est compté avant que la bombe qui couve en lui ne se déclenche. Vincent s’inquiète pour lui, sachant très bien ce qui l’attend. Il devient son gardien.


« Martin m’attendait dans le salon.
_ Il faut pas le dire à papa, a-t-il murmuré, un doigt sur la bouche.
_ Qu’est-ce qu’il ne faut pas dire ?
_ Qu’on va tirer un feu d’artifice avec Nathan…
Je lui ai souri.
_ Non, on ne dira rien.
_ C’est un secret, a-t-il murmuré.
Un jour, tu sauras ce qu’il en coûte de porter les vrais secrets, ai-je pensé en regardant mon petit frère filer dans sa chambre. Un jour, tu comprendras que pas une heure ne se passe sans qu’il ne faille se taire, compter et se tenir droit pourtant, comme innocent, alors que croupissent dans nos consciences des décharges entières que nous avons mis un point d’honneur à traîner en silence, certains que personne n’y verra rien, quand nous puons et nous trahissons sans même nous en apercevoir. »


Enfin, Martin clôture la série des étés qui se sont déroulés depuis la disparition de sa mère. Si Lily et Vincent sont parents ou en phase de le devenir, le petit dernier, celui qui a été tant protégé, est peut-être le frère dont la chute est la plus visible. Désertant la fac, ne sachant qui devenir, que faire de sa vie, il vivote au frais de ses aînés. Trop de questions se posent en lui, trop peu de souvenirs de sa mère auxquels se raccrocher : Martin est à la dérive.


«_ Pourquoi ça n’a pas marché chez nous ?
_ Tu parles de quoi, petit ?
_ Notre famille. Tu vois bien comment ça a poussé. Mal poussé. On aurait pu très bien se débrouiller sans maman. Vous avez tout fait pour. Et regarde comme on se traîne … Qu’est-ce qui s’est passé ? Parfois je me dis qu’il s’en est fallu de peu … »


Heureusement le destin rattrape Martin au travers d’un autre évènement : le soudain coma de Nathan, son fidèle ami, pour qui il voudra se battre. Et cela finira par réunir les trois enfants et à perdurer le souvenir de leur mère.
 

C’est le troisième roman d’Arnaud Catherine que je lis et je dois avouer que je ne suis pas sûr d’être à 100 % objectif quand je parle de ses livres, tant son écriture et ses personnages font résonner en moi une corde sensible. Est-ce le sentiment de perdition qui anime ses personnages ? La lutte qu’ils mènent pour l’accomplissement de soi ? Peut-être leurs parts d’ombre qui, parce que la lumière naît de l’obscurité, rend la vie et ses moments de joie si précieux.
C’est une très belle plume que celle d’Arnaud Cathrine. Elle mêle la profondeur des sentiments à une certaine pudeur.
Ce qui me touche particulièrement chez A. Cathrine, c’est sa vision de la famille. C’est très troublant parce qu’on ne peut savoir en le lisant, s’il faut la considérer comme un héritage trop lourd ou comme un cocon protecteur. De toutes mes lectures, je trouve qu’il décrit le mieux la complexe mécanique qui fait le rouage de chaque famille, avec son lot d’intimité, d’amour et de reproches. Si je peux me confier un peu, je suis fils unique et quand je lis Arnaud Cathrine, quand il décrit ces liens fraternels faits d’attraction et de répulsion, de protection ou de quête d’amour, je ressens comme un déchirement en moi. En bien ou en mal, j’aurais aimé avoir un frère comme dans les romans d’A. Cathrine, quelqu’un avec qui partager une histoire commune, quelqu’un qui puisse me servir de repère, qui puisse m’éclairer par son expérience, ou bien quelqu’un à protéger, à guider.
 

Lectures croisées :
Pour ceux qui ont lu précédemment « Le Journal Intime de Benjamin Lorca », d’A. Cathrine également (un de mes livres préférés, sans hésitation), ils retrouveront des thèmes qui semblent chers à cet auteur.
Tout d’abord il s’agit là à nouveau d’un livre polyphonique, où la disparition d’un être est le point central du roman, se faisant réunir plusieurs voix, des proches qui racontent leurs liens et le manque de celui ou celle qui n’est plus de ce monde.
Ensuite le fameux « livre impossible ». Benjamin Lorca tout comme Vincent dans Sweet Home sont auteurs et se refusent d’écrire leur propre histoire pas peur de tout anéantir autour d’eux. Je soupçonne Arnaud Cathrine d’avoir lui aussi un livre impossible à écrire…
D’autres éléments sont communs aux deux livres : la côte normande et ses villes balnéaires (Deauville, Trouville-sur-mer, Bénerville, Blonville-sur-mer…) qui sont des endroits que je connais en tant que normand et où j’apprécie me balader. Et puis les casinos, où Remo dans Sweet Home, tout comme Benjamin Lorca, vont s’y réfugier et faire tinter les pièces pour oublier et creuser leur perdition.
On retrouve également dans les deux romans l’évocation d’une longue histoire d’amour « ni avec toi, ni sans toi » (phrase de Truffaut). Martin tout comme Benjamin Lorca ont rencontré un jour la fille avec qui ils mènent des vies bien distinctes mais indéfectiblement liées. Pas vraiment ensemble, pas vraiment séparés. Une liaison qui semble étrange à leurs proches. Peu importe si personne n’y comprend rien, ils auront pour eux : une histoire. Là aussi, faut-il croire à un aveu de l’auteur ?
Enfin, je pense qu’il faut que je regarde le film « Le Feu Follet » de Louis Malle, car il est évoqué dans les deux romans.
Je ne sais si ces lectures croisées furent d’un grand intérêt mais c’est un exercice auquel je me prête avec plaisir lorsque je m’intéresse à un auteur, comme Philippe Besson par exemple. Après tout la force d’un artiste réside aussi dans ses obsessions !


Donc voilà en conclusion je recommande chaudement Sweet Home ainsi que Le Journal Intime de Benjamin Lorca de l’excellent Arnaud Cathrine !




Note :






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