mercredi 27 octobre 2010

" Quand Souffle le Vent du Nord " de Daniel Glattauer

Titre :     " Quand Souffle le Vent du Nord "
Auteur :    Daniel Glattauer
Editeur :   Editions Grasset
                 350 pages


On connaissait le genre du « roman épistolaire », avec notamment les célèbres et captivantes « Liaisons Dangereuses » de Choderlos de Laclos (une référence pour moi, si je peux me permettre). Depuis « Quand Souffle le Vent du Nord » de l’allemand Daniel Glattauer, il faudrait également ajouter la catégorie « roman e-mailaire » au répertoire de la littérature. Laissez moi donc vous transmettre mon avis (très) enthousiaste sur cette romance on ne peut plus moderne !
Lassée du magazine « Like » dont elle est abonnée, Emmi Rothner décide d’en faire la résiliation par courriel. C’est alors qu’une erreur dactylographique vient discrètement s’introduire dans l’adresse de son destinataire : Emmi tape woerter@leike.com au lieu de woerter@like.com. « Woerter » comme le nom de sa ville et « Like » comme le titre de ce mensuel locale. Une erreur idiote, un simple « e » glissé devant un « i ». Une bourde qui va bouleverser sa vie.
C’est donc une toute autre personne qui recevra cet e-mail : Leo Leike, qui lui aussi vit à Woerter.
L’histoire aurait pu s’achever ainsi, par des « Vous avez la mauvaise adresse. Je suis un particulier. […] » et des « Oh pardon ! Et merci pour ces explications. Bien à vous, E.R. ». Cependant, de ces bévues bureautiques va s’ensuivre un dialogue, une correspondance intime, troublante et passionnée.

Mais reprenons par le début. Emmi Rothner est mariée et a deux enfants. Leo, lui, se remet à peine d’une grande rupture sentimentale. Elle crée des sites internet pour des entreprises, il est conseiller en communication et travaille à l’université sur le langage dans les courriels (et les mails comme vecteurs d’émotions, au passage). On serait en droit de se dire que ces deux là étaient faits pour se rencontrer !
Suite à ces maladresses informatiques et alors qu’ils commencent à nouer une correspondance de plus en plus fidèle (d’abord quelques premiers e-mails sur un ton humoristique et taquin, puis subrepticement dans le registre de la confession), ils décident qu’ils ne parleront pas de leur entourage, ni de détails personnels comme leur travail et leur famille. Ils n'évoqueront que leurs humeurs, leurs sentiments, leurs joies et leurs peines, et rien d’autre qui puisse révéler leur identité. Ils excluent également toute idée de rencontre. Le pacte est conclu : jamais ils ne se verront en personne.

«  Chère Emmi, avez-vous remarqué que nous ne savons absolument rien l’un de l’autre ? Nous créons des personnages virtuels, imaginaires, nous dessinons l’un de l’autre des portraits-robots illusoires. Nous posons des questions dont le charme est de ne pas obtenir de réponses. Oui, nous nous amusons à éveiller la curiosité de l’autre, et à l’attiser en refusant de la satisfaire. Nous essayons de lire entre les lignes, entre les mots, presque entre les lettres. Nous nous efforçons de nous faire de l’autre une idée juste. Et en même temps, nous sommes bien déterminés à ne rien révéler d’essentiel sur nous-mêmes. « Rien d’essentiels », c’est-à-dire ? Rien du tout, nous n’avons encore rien raconté de notre vie, rien de ce qui fait notre quotidien, rien de ce qui est important pour nous.
Nous communiquons au milieu d’un désert. […] Nous savons grâce à un mauvais magazine local que nous habitons dans la même ville. Mais à part cela ? Rien. Il n’y a personne autour de nous. Nous habitons nulle part. Nous sommes sans âge. Nous sommes sans visage. Nous ne faisons pas la différence entre le jour et la nuit. Nous vivons hors du temps. Nous sommes retranchés derrière nos écrans, et nous avons un passe-temps commun : nous nous intéressons à un parfait inconnu. Bravo ! » (Leo, chapitre 1, p.29)
 
Et pourtant, au fil des courriels et des péripéties de leurs vies réelles respectives, cette relation virtuelle va prendre toute la place dans leurs têtes et dans leurs cœurs. Pour Leo, cette Emmi dont il aime les traits d’humour, l’emportement et la mauvaise foi, avec qui il partage des confidences, des moments tendres ou des rêveries plus charnelles, devient la femme dont il espère, qu’il attend, pour faire le deuil d’une histoire d’amour.

« Ecrire, c’est comme embrasser, mais sans les lèvres. Ecrire, c’est embrasser avec l’esprit. Emmi, Emmi, Emmi. » (Leo, chapitre 4, p.136)

Emmi, qui se dit mariée et heureuse, trouve en ce Leo une échappatoire, une pause dans sa vie familiale, un accès vers un monde extérieur, dans lequel elle aime s’attarder, de plus en plus, jusqu’à tomber amoureuse de son partenaire de mails.

« Souvent, il est le premier de la journée à entendre parler de moi. Souvent, il est le dernier à qui je parle avant d’aller me coucher. Et la nuit, quand je n’arrive pas à dormir, quand le vent du nord souffle […] j’écris un mail à cet homme. Et il me répond. Dans ma tête, ce type est un merveilleux remède contre le vent du nord. Ce que nous écrivons ? Oh, rien que des choses personnelles, des choses sur nous, ce que nous ferions tous les deux […] » (Emmi, chapitre 7, p. 256)

Au cours de leur liaison virtuelle, qui coure sur presque plus d’un an, des doutes vont bien évidement assaillir les deux protagonistes : en effet, comment poursuivre une telle histoire sans qu’il n’y ait eu le point de départ : la rencontre ! Que se dire après autant de temps, quand on ne partage rien d’autre que des courriels ? Faut-il finalement se rencontrer physiquement pour poursuivre l’aventure ?

« J’aimerais que nous continuions à nous écrire. Et j’aimerais vous rencontrer en personne. Nous avons déjà raté tous les moments propices. Nous avons rejeté les règles les plus simples des relations humaines. Nous sommes de vieux amis, nous nous apportons un soutien quotidien, nous sommes même parfois un couple. Et malgré tout cela, il nous manque le début, la rencontre. Je ne sais pas encore comment la mener à bien sans rien perdre de ce qui nous lie. Et vous ? » (Leo, chapitre 5, p.159)


« Deux jours plus tard
Pas d’objet
C’est triste Emmi, nous n’avons plus rien à nous dire.

Dix minutes plus tard
RE :
Peut-être n’avons-nous jamais rien eu à nous dire.

Huit minutes plus tard
RÉP :
Mais nous avons beaucoup parlé. » (Chapitre 7, p. 234)
 
Bien entendu, la question qui fait office de fil rouge dans le récit et pour laquelle les deux personnages, tout comme le lecteur, brûlent d’impatience de connaître la réponse : vont-ils se rencontrer pour de vrai ? Faut-il ou ne faut-il pas qu’ils brisent leur pacte pour enfin mettre un visage sur leur correspondant ? Si l’un et l’autre sont tombés amoureux des mots de leur partenaire de mails, cette séduction tiendra-t-elle le coup face à une rencontre physique ? Et s’ils étaient déçus ? Si l’être imaginaire qu’ils avaient bâti sur ses écrits ne correspondait pas à la réalité ?

« Nous sommes chacun la voix de l’imagination de l’autre. N’est-ce pas assez beau et précieux pour en rester là ? » (Leo, chaître 3, p. 122)
 
Ce que j’ai particulièrement apprécié dans la lecture de « Quand Souffle le Vent du Nord », c’est que ce roman parvient à mettre en reliefs toute les subtilités et les complexités nouvelles que nous vivons à travers les nouvelles technologies. Toutes les libertés que nous prenons lorsque nous sommes derrière nos écrans. Savoir que nous sommes prêts à nous dévoiler, même de façon anonyme, devant de lointains et parfaits inconnus alors que nous aurions des difficultés à nous livrer auprès de nos proches, je trouve cela intriguant et source de nombreuses questions. Il n’y a qu’à voir la masse indéterminable de blogs ou de réseaux sociaux qui grouillent sur le net, où certains s’épanchent, se confient, partagent leur quotidien et jusqu’à des choses très personnelles à une communauté d'étrangers. L’ordinateur est-il cet écran derrière lequel nous pouvons nous mettre à nu ?

« Cher Leo, je vous en prie, mettez-vous à ma place. Je vous avoue qu’il y a longtemps que je n’avais pas échangé avec quelqu’un des émotions aussi violentes. Je suis d’ailleurs étonnée que cela soit possible de cette façon. Dans mes mails, je peux être comme jamais la véritable Emmi. Dans la « vraie vie », si on veut réussir, si on veut tenir le coup, il faut sans cesse faire des compromis avec sa propre émotivité ! LÀ, je ne dois pas dramatiser ! ÇA je dois l’accepter ! ÇA, je dois le laisser passer ! Nous adaptons en permanence nos sentiments à notre entourage, nous ménageons ceux que nous aimons, nous nous glissons dans les cent petit rôles du quotidien, nous nous tenons en équilibre, nous pesons le pour et le contre pour ne pas mettre en danger la structure à laquelle nous appartenons.
Avec vous, cher Leo, je n’ai pas peur de laisser libre cours à ma spontanéité profonde. Je ne réfléchis pas à ce que je peux ou ne peux pas vous imposer. J’écris allègrement ce qui me vient à l’esprit. Et cela me fait un bien fou !!! C’est grâce à vous, cher Leo, et c’est pourquoi vous m’êtes devenu indispensable : vous m’acceptez comme je suis. » (Emmi, chapitre 4, p.153)
 
Quand au style développé au cours de ce roman, c’est très étrange la sensation qui en ressort. J’ai presque envie de faire un parallèle avec une pièce de théâtre où il n’y aura pas de décor, plateau vide, aucun acteur non plus sur scène, mais leurs voix qui se répondent depuis chacune des coulisses. Une sorte de dialogue sans fin, sans discontinuité, distordu dans le temps et l’espace. Très troublant, il n’y a aucune notion de temps ni de lieu. À l’exception de « Trois jours plus tard », « Deux heures et demi plus tard », « Une minute plus tard », rien ne nous indique, à moins que les protagonistes ne l’indiquent, si nous sommes le jour ou la nuit, sur l’ordinateur familiale ou au bureau, un jour de pluie ou de soleil. Nous ne savons pas à quoi ressemblent les personnages, ni dans quelle humeur ils se trouvent au moment d’écrire, s’ils affabulent ou se confient en toute sincérité… Tout se passe au travers de l’écriture. Aux lecteurs d’y détecter ce qu’y se cache entre les lignes. Quand je dis « lecteurs », il s’agit de nous bien entendu, mais aussi d’Emmi et de Leo qui, finalement, se retrouvent dans la même posture que nous, ce qui fait l'intérêt du livre : ils ne savent rien l’un de l’autre, ils ne connaissent pas les intentions de leur correspondant et sont bien contraints, comme nous, d’imaginer l’autre, d’essayer de dévoiler les non-dits de ces phrases. Je vous avoue que des fois on a envie de répondre à leur place !

Ce fût vraiment une lecture très agréable, loin des clichés romantiques, avec beaucoup de modernité. J’ai eu le sentiment de m’immiscer dans les ports USB, les câbles éthernet de deux ordinateurs amoureux. J’avais parfois envie d’interpeller Leo ou bien Emmi : « non surtout n’écrit pas cela tu vas trop te dévoiler ! », « moi si j’avais voulu transmettre cette émotion, je l’aurais formulé ainsi … » etc.
Et ce roman contient pas mal de rebondissements, de suspens, d’actions inattendues. Et jusqu’aux dernières pages, le mystère subsiste : vont-ils se rencontrer ?
 
 
Vous connaissez le film « Vous avez un message (You’ve Got Mail) » avec Meg Ryan et Tom Hanks ? Vous savez, cette libraire new-yorkaise, qui, à la suite d’un détour par un forum de rencontres, tient une correspondance internet assidue avec ce qu’elle pense être l’homme idéal, avant de découvrir que celui-ci se trouve être le PDG d’une chaîne de bookstores, cette même chaîne qui vient d’implanter une succursale devant sa librairie et l’oblige, à coup de prix cassés et de consommation de masse, à fermer « The Shop Around the Corner ». Figurez-vous que j’étais en train de visionner ce classique de la comédie romantique américaine lorsque j’ai lu ce livre. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y faire un rapprochement.

Et puis, parce que nous avons tous eu au moins une fois dans notre vie le cœur qui palpite à la vision d’un e-mail attendu avec fébrilité, parce que nous nous sommes sûrement confiés un jour par la biais de ces courriels ou parce que peut-être les mails sont devenus un lien familial, amical ou social aussi fort qu’une parole, alors il faut que vous dévoriez les pages... pardon, les "e-mails" de « Quand Souffle le Vent du Nord ».
 

Note :






1 commentaire:

  1. J'ai beaucoup aimé ce livre également. Bon, on pourra dire ce qu'on veut, ça ne vole pas haut. Ce n'est pas de la chick litt, mais c'est quand même très léger.
    Mais franchement, ça fait du bien ! J'étais en vacances à Londres quand je l'ai lu (tombé dessus à Virgin juste avant de partir !), et c'était très agréable de lire ça en vacances, sans contrainte, pour se détendre.

    J'aime ta façon d'écrire, donc ton article aussi ^^
    Si tu veux lire le mien, viens faire un tour sur mon blog (l'article doit être un peu loin désormais ^^).

    Sébastien.

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