Auteur : Helen Zahavi
Editeur : Editions Phebus (collection libretto)
Editeur : Editions Phebus (collection libretto)
210 pages
Résumé
« Voici l’histoire de Bella qui se réveilla un matin et s’aperçut qu’elle n’en pouvait plus. Bella n’a rien de particulier. L’Angleterre est pleine de gens blessés. Qui étouffent en silence. Qui hurlent à voix basse pour ne pas être entendus des voisins. Vous les avez sans doute vus. Vous les avez probablement croisés. Vous leur avez certainement marché dessus. Trop de gens n’en peuvent plus. Ce n’est pas nouveau. Seule compte la façon dont vous réagissez. »
La vie n’a pas gâté Bella. Tout d’abord, la Nature l’a faite petite, frêle et vulnérable. À la merci de la bestialité des hommes. Et le destin l’a amenée à faire de mauvaises rencontres et, dans le besoin impératif de gagner de l’argent, à se prostituer. Bella pense échapper à tout cela en s’installant à Brighton. Elle s’imagine que la ville balnéaire, si calme en dehors de la belle saison, lui redonne un certain anonymat, une nouvelle chance. Pendant des années, elle oublie son passé et se convainc que, terrée dans son minuscule appartement en sous-sol, sa vie, même étriquée et racornie, a au moins l’avantage d’être paisible.
Mais, un jour, elle aperçoit un homme l’observer depuis la fenêtre d’en face. Puis cet homme la suit jusque dans ses promenades au parc. Il l’appelle la nuit et la menace des pires sévices depuis l’autre bout du combiné. Il s’introduit chez elle quand elle dort. Alors Bella se réveille un matin et s’aperçoit qu’elle n’en peut plus. Elle est effrayé par ces hommes qui jouissent à l’idée de pouvoir lui faire du mal, de la posséder, d’en faire leur poupée de chiffon, de broyer ses os fragiles. Elle crache sur cette injustice qu’est leur force et leur supériorité physique.
Sentant l’histoire reprendre de plus belle, elle décide de renverser son monde. Et d’agir.
Dirty week-end parce que c’est le temps qu’il faudra à Bella pour tuer sept hommes. Sale boulot. Mais nécessaire. Bella le comprends bien : dans la vie, vous êtes meurtrier, victime ou bien spectateur. Et quand le sort vous a fait agneau, le seul remède pour survivre, c’est de devenir boucher. Alors avec une voiture, un marteau, un couteau à cran d’arrêt ou bien les balles d’un revolver, Bella usera de toute la panoplie disponible pour sauver sa vie et supprimer celles de ces salopards.
Mon avis sur ce livre est vraiment plus que partagé.
D’une part, j’ai été rebuté par la cruauté du livre, sa saleté. Il faut préciser que ce roman a attendu 1991 pour être publié et qu’il fût l’un des derniers ouvrages de littérature à avoir fait l’objet d’une demande d’interdiction au Parlement de Londres, pour cause d’immoralisme… Il y a certains passages qui m’ont rappelé « American Psycho » de Bret Easton Ellis, excepté le fait que Bella a des « raisons de tuer » (si toutefois il peut en y avoir) à la différence d’un Patrick Bateman qui zigouille les femmes par pure perversion. Tout ce défoulement de violence et cette mise en scène des sévices, ça peut écœurer … légèrement… et le livre pourrait vous tomber des mains.
Et d’un autre côté, on peut trouver dans ce déchaînement d’exécutions, une certaine satisfaction : celle de l’être que l’on a trop longtemps écrasé, humilié, sali et qui prend sa revanche ! Alors il faudrait prendre ce roman comme un défouloir.
Par contre, j’ai ressenti un grand malaise tout au long de ma lecture. Je me disais : « Mais bon sang… quelle vision de l’homme ! » Il n’y en a pas un seul qui mérite la moindre clémence. Tous les hommes qui approchent Bella veulent de façon impérieuse la violer et la détruire. Ce jugement radical et cette représentation de l’homme en tant que monstre barbare, ça m’a refroidi et, comme je le disais, mis mal à l’aise.
«_ Les hommes me font peur. […] Leur appétit me fait peur. Leur façon de me regarder me fait peur. Ce que je lis dans leurs yeux me fait peur.
_ Et qu’y lisez-vous ?
_ Ce qu’ils désirent, ils doivent le posséder. Ce qu’ils ne peuvent pas posséder, ils doivent le pénétrer. Ce qu’ils ne peuvent pas pénétrer, ils doivent le détruire. »
Dirty week-end est remplie d’une rage sous-jacente contre les hommes. Tant est si bien que l’on peut se demander si Helen Zahavi n’a pas malheureusement vécu, comme son personnage, un tel épisode abject.
En tout cas, il y a des passages du livre qui laissent échapper un jugement tantôt trop extrême, mais parfois pénétrant sur le genre masculin. Il y a des bribes de ce roman qui, par leur clairvoyance, m’ont fait comprendre ce qu’une femme peut ressentir face à l’iniquité du sexe faible face au sexe fort. Après ce livre, j’ai compris qu’une femme puisse avoir peur face aux hommes, peur de se balader seule la nuit, peur de s’habiller un peu plus légèrement, peur d’afficher sa féminité sans que l’on prenne cela pour autre chose…
« Ce que Bella désire. Ce que Bella désire, c’est ce qu’elle ne peut avoir. Ce qu’elle désire, ce sont des fenêtres ouvertes les nuits d’été. Des promenades solitaires au bord de l’eau. Sans la crainte de la panne sur l’autoroute. Sans la peur du noir. Sans la terreur des bandes. Sans réflexions dans les rues. Sans attouchements furtifs dans le métro. Ne plus être obligée de flatter leur ego par peur du poing en pleine figure, du nez cassé, du sang et de la morve qui coule dans sa bouche. Bella est née libre et partout elle est enchaînée. »
Vous les voyez sur l’écran, essayant de réprimer un sourire moqueur, dans leur tenue fraîchement lavée. Ils débitent tout leur baratin. Avec leur ton geignard, ils vous parlent de la thérapie qu’ils ont suivie, comment ils ont réussi à en parler, comment ils sont parvenus à assumer leur acte. Et sous tout ce discours, bouillonnant sous la surface, on perçoit les pleurnicheries du violeur impénitent qui veut se justifier.
En purgeant leur peine, ils pensent avoir payé leur dette à la société. Sauf qu’ils n’ont pas pris la société comme victime. Pas toute la société. Pas la partie importante. Ils n’ont pas fait de mal à la société. Ils n’ont pas effrayé la société au point qu’elle n’ose plus marcher dans la rue. Ce n’est pas à la société qu’ils ont fait peur.
Si vous les entendez dire qu’ils regrettent, ne les croyez pas. Ils ne regrettent jamais, et d’ailleurs ça ne changerait absolument rien. Mais s’ils le disent, si jamais ils osent le dire, ne les croyez pas. Ce sont des salauds et des menteurs pour qui la castration est la plus douce des punitions. »
Mais en ce qui concerne l’écriture d’Helen Zahavi je suis sans équivoque : j’ai adoré ! Si elle n’avait pas écrit ce livre avec un stylo, elle aurait tout aussi bien pu le faire avec un scalpel. Si le cynisme et l’humour noir était une religion, Dirty week end en serait la cathédrale. Elle a vraiment un style, son style : incisif, entier, inflexible, enragé, parfois d’une ironie glaciale ou d’une obstination haineuse.
En un mot, je ne dirai pas que j’ai « aimé » ce livre parce que ce n’est pas le mot adéquat pour ce genre d’histoire, mais il m’a pris à la gorge, m’a fait réagir, m’a dégoûté tout autant qu’il m’a donné à réfléchir.
Extraits
En pleine nuit, Bella parvient à s’introduire chez cet homme qui l’épie, la suit, la harcèle et menace de la dissoudre en la badigeonnant d’acide. Son corps frêle mais déterminé se glisse dans l’antre du sadique pervers et le surprend dans son sommeil :
« Elle se tenait près de son lit. Elle s’était introduite chez lui et elle se tenait près de son lit. Elle était masquée, armée, et elle n’avait pas peur.
[…]
Ses yeux bougeaient derrière ses paupières. Elle regardait ses yeux. Ils bougeaient tandis qu’il rêvait. Il rêvait d’elle, endormi dans son lit. Il rêvait qu’il la possédait sauvagement sur le sol. Il la possédait sur le sol de la salle de bains. Il versait l’acide sur sa peau. Il écoutait le grésillement, il respirait l’odeur de brûlé, et il la regardait se dissoudre sur le sol de la salle de bains. Elle hurlait dans son rêve, elle mourrait dans son rêve, et ses yeux ne cessaient de bouger derrière ses paupières.
[…]
Pour Bella, la justice n’est pas le justice biblique. Jamais elle n’appliquera le principe œil pour œil, dent pour dent. Cette parité laxiste et molle lui donnerait presque envie de vomir. Elle exige un œil pour une dent et une vie pour un œil.
Aussi, […], elle prit le coin du drap dans sa main gauche.
_ Excuse-moi, dit-elle en arrachant d’un geste brusque le drap en coton.
Il ouvrit les yeux, l’aperçut et gicla, comme une baleine.
Un réveil très brutal.
Il regardait d’un air ébahi la silhouette encapuchonnée près de son lit. L’horreur dans ses yeux, l’horreur qui apparaissait lentement dans ses yeux était un souvenir qu’elle serrerait contre son cœur pendant de nombreuses nuits solitaires. Pour la première fois de sa vie, elle regardait le visage d’un homme et elle y voyait scintiller le reflet de sa propre peur.
[…]
Imaginez, imaginez un peu, vous vous réveillez et vous la voyez près de votre lit. La femme de vos rêves humides se tient près de votre lit. La femme de vos pensées obscènes, la femme de vos désirs inavouables se tient près de votre lit… avec un marteau.
[…]
Elle a le grand sourire du manant, avant qu’il n’embroche le seigneur avec sa fourche. Un grand sourire qui indique que la patience a ses limites. Et Timothy, le pauvre Timothy, s’est réveillé pour voir ça.
Elle le frappa avec le marteau sur la joue. Un coup oblique désinvolte, pas trop violent. Juste assez pour briser l’os. Elle le frappa de nouveau pour bien lui faire comprendre qu’il ne rêvait plus. Elle le frappa de nouveau pour garder le rythme. Et elle le frappa encore une fois, pour le plaisir.
[…]
_ Eh bien, dit-elle gaiement. C’est amusant, non ?
Le papotage n’était pas son fort.
Elle le frappa de nouveau, lui brisant le nez. Le sang jaillit.
[…]
Les choses ne se passaient pas très bien pour Timothy. Timothy était dans un état de profonde confusion. Et Bella parce qu’elle empathise, parce qu’elle est une personne sensible dont les terminaisons nerveuses frémissent au moindre contact, comprenait la terreur cosmique qui avait dû s’emparer de lui.
Elle comprenait la peur qui devait lui nouer les tripes. Elle comprenait la panique vomitive qui devait bouillonner en lui. Elle comprenait parce qu’elle était passée par là, elle avait suivi cette route, elle avait traversé ce tunnel avant de ressortir de l’autre côté.
[…]
Le moment est donc venu d’expédier Timothy. Il est temps d’envoyer Timmy vers cette vanne dans le ciel. Elle saisit le marteau à deux mains et le brandit au-dessus de sa tête.
_ Prépare-toi à rencontrer ton Créateur, mais d’abord l’Exécuteur.
[…]
Le marteau s’abattit sur le dessus du crâne […] et ce fut comme si elle fendait un œuf, comme si elle heurtait la coquille d’un œuf avec une cuillère. […] Elle ressortit l’arrache-clou fiché dans le crâne, se mordilla la lèvre et se mit à le marteler. Elle fit entrer son message dans le crâne de la seule manière possible.
[…]
Elle réduisit la tête en bouillie. Elle le pulvérisa. […] Elle entendit un ultime râle étouffé. Il cessa de tressaillir. La vie de Timothy s’acheva dans un bruit violent et un soupir. Le dernier coup mit fin pour toujours à ce cycle personnel de manques.
Il existe certaines lois de la nature, songea-t-elle, certaines lois immuables que vous bafouez à vos risques et périls. […] Les hommes aux crânes fragiles ne devraient pas essayer d’inclure dans leurs fantasmes des femmes choisies au hasard.»
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« _ Je veux un pistolet, dit-elle. En bon état. Graissé, prêt à servir et automatique de préférence.
_ Quelle quantité de munitions ?
_ Des tas. Des monceaux de munitions. Des tonnes. Je veux que ça tinte quand je marche. Je veux être lestée de munitions. Il m’en faut pour un an. J’en veux pour un an, au moins. Sinon plus. »
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Moment d’une ironie ô combien délectable lorsque Bella se fait draguer par un homme alors qu’elle sirotait tranquillement son cocktail au bar d’un hôtel. Le pauvre Norman ne se doute pas qu’en parlant d’ordures, Bella ne fait qu’évoquer les hommes de son genre :
« _ Et vous, quel est votre domaine ? demanda-t-il entre deux olives.
_ Je suis dans l’hygiène publique.
_ Oh.
_ Je désinfecte.
_ Vous ne faites pas partie de ces femmes vêtues de bleus de travail qui roulent en camion-benne ?
_ Non, je travaille davantage au niveau exécutif.
Il parut soulagé.
_ Vous voulez dire que vous prenez les décisions.
_ Exactement. D’abord vous prenez une décision, et ensuite vous l’exécutez.
_ Une sorte d’expert conseil ?
_ Quelque chose comme ça.
_ Ça doit être très astreignant.
_ Ça l’est, Norman. Très astreignant, en effet.
Un jet d’huile s’échappa de sa bouche lorsqu’il avala la dernière olive.
_ Ne me dites pas que vous aimez vous occuper des ordures – il essuya ses lèvres grasses avec son mouchoir : Ça m’étonnerait.
_ C’est curieux que vous me demandiez ça, Norman, parce que je crois que j’aime ça. Le problème, c’est que les gens finissent par s’habituer à la saleté, au point de l’oublier. Grave erreur. Très grosse erreur. Si vous laissez les déchets s’entasser, tôt ou tard ils vous envahissent. Si vous ne dominez pas les ordures, ce sont elles qui vous domineront.
_ Vous semblez terriblement dévouée à votre tâche.
_ Je le suis, Norman. Terriblement. A vrai dire, c’est davantage une vocation. J’ai été choisie pour nettoyer la pourriture.
_ Une sorte de croisade solitaire ?
_ Une guerre sainte – elle but une gorgée : Et je ne fais pas de prisonniers.
Ils rirent de la petite plaisanterie de Bella. »
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« De nombreuses difficultés à travers le monde viennent des gens gentils. S’ils n’étaient pas si gentils, personne ne les frapperait. Et si personne ne les frappait, ils ne se vengeraient pas. Ce serait une bonne chose, car lorsqu’une personne gentille se venge, elle frappe fort. »
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Un autre passage délicieusement cruel, lorsque Bella parvient à s’échapper du piège de Reginald qui voulait la violer dans un parking, et qu’elle finit par écraser avec la voiture de ce dernier :
« Voilà ce qu’on ressent lorsqu’on commet un Reggicide : on fait marche arrière, la voiture roule sur quelque chose de mou, comme un dos d’âne sur la route, mais on ne le sent pas réellement, car les suspensions sont bonnes. Et on avance. Puis on recule de nouveau. Et on avance. Et chaque fois la bosse est légèrement différente. Légèrement moins haute. Légèrement plus molle. »