dimanche 26 décembre 2010
Citation
" Je ne suis certain de rien, sauf de la sainteté des élans du coeur et de la vérité de l'imagination. "
John Keats
mardi 14 décembre 2010
jeudi 2 décembre 2010
Nathalie Dessay dans les "Contes d'Hoffmann" d'Offenbach
Hoffmann est amoureux d'Olympia, la "fille" du scientifique Spalanzi. Mais Olympia est une poupée mécanique, qu'il faut remonter pour qu'elle nous chante sa chanson mignonne : "Les Oiseaux dans la charmille" (minute 3:30)
mardi 30 novembre 2010
Citation
"Il y a des moments où l'on sent qu'on va changer de vie, où l'on a presque l'impression d'entendre cliqueter la mécanique du destin"
("Une Voix dans la nuit" d'Armistead Maupin)
lundi 29 novembre 2010
dimanche 28 novembre 2010
Philippe Besson : Annonce, Anecdote et Confession
Ce matin après mon jogging dominical, j’allume mon ordi, me connecte sur le net et feuillette les divers blogs et sites qui sont listés dans mes favoris. Et là, je tombe sur LA bonne nouvelle. Sur le blog de Cultura, là, dans un encart bien placé, mon œil tombe sur deux-trois mots qui font ‘tilt’ dans mon petit cerveau :
« Philippe Besson », « prochain », « roman ».
« Philippe Besson », « prochain », « roman ».
Et à ce moment-là je dis : Hallelujah !
En effet, après deux années sans pouvoir lire mon romancier préféré (j’ai lu l’intégralité de ses œuvres !), le 6 janvier prochain sortira le nouveau et onzième roman de Philippe Besson : « Retour parmi les hommes ».
Et comble de joie, il s’agit de la « suite », si on peut dire, de son premier roman publié exactement dix ans auparavant « En l’Absence des hommes ». Ce livre est sans hésitation LE livre qui trône au sommet de mon panthéon personnel. On a tous rencontré (car il s’agit bien de rencontres) un roman qui nous a ému plus que tout ce que nous avons déjà lu, qui, une fois refermé, ne nous laisse pas tout à fait comme avant. « En l’Absence des hommes » est ma plus belle rencontre et je remercie le hasard qui m’a amené à lire cet auteur.
Été 1916, la Première Guerre Mondiale fait rage et tous les hommes sont partis sur le front. Seuls restent à Paris les femmes et les enfants. Vincent de l’Etoile a 16 ans lors de cet été. Les combats sont loin et de toute façon le garçon est indifférent au monde qui l’entoure. Jusqu’au jour où le jeune homme fait les deux rencontres essentielles de sa jeune vie. Ces deux rencontres qu’il nous narre à la première personne.
Vincent est issu d’une bonne famille et c’est dans le salon d’une amie de sa mère qu’il croise Marcel Proust, le délicat et célèbre auteur. Une amitié épistolaire et intime va s’installer entre l’homme érudit et l’adolescent. Proust va devenir le témoin du drame que vivra Vincent.
Dans le même temps, Arthur, le fils de la gouvernante, refait son apparition dans la demeure de la famille De l’Etoile lors d’une permission. Arthur, vingt ans, est soldat sur le front de Verdun et c’est conscient de l’épée de Damoclès qui le menace à chaque combat qu’il confie à Vincent son amour, son amour de toujours, cet amour caché auquel il s’est attaché pour supporter la violence des bombes et l’odeur de la mort.
Alors, pendant les sept jours qu’il reste à Arthur avant de repartir vers la boucherie de cette guerre, les deux jeunes hommes vont se reconnaître, s’aimer d’une passion folle, pure et déchirante. Ils voleront pour eux toutes les nuits, dans le huis-clos d’une chambre, pour vivre un amour charnel et lyrique, sublimé et rendu violent par le drame inéluctable qui les attend.
Malheureusement, la cruauté du destin aura raison de la vie d’Arthur. Les dernières pages du roman nous laissent avec un Vincent au bord du désespoir, pleurant la disparition de l’innocent soldat.
« En l’Absence des hommes » est un livre bouleversant, magnifique, auquel on ne peut pas ressortir indemne. L’histoire, les émotions, sont servies par une plume d’une rare délicatesse, d’une clarté troublante. Bernard Pivot, journaliste, critique et animateur que tout le monde connaît, a dit de Philippe Besson qu’il était le « spéléologue de l’intime » et c’est tout à fait cela : je n’ai jamais lu de telles introspections ou tant de lucidité dans l’analyse des liens, des sentiments qui unissent des êtres.
En « L’Absence des hommes » est le tout premier roman de Philippe Besson et c’est celui qui le fera immédiatement connaître auprès des critiques et du public. J’ai eu la chance d’assister une conférence de Philippe Besson à l’ESC de Rouen en novembre 2007 ainsi que de rencontrer l’auteur Arnaud Cathrine en juillet 2010 et j’ai donc quelques anecdotes à raconter au sujet de ce roman.
Philippe Besson était directeur des Ressources Humaines pour un fournisseur d’Internet lorsqu’il écrivit ce roman en toute intimité, ne pensant jamais être publié. Pourtant, un jour, lassé de cette vie qui ne semblait pas lui correspondre, et tenté par l’ailleurs, il partit pour le Brésil et c’est de Sao Paulo qu’il envoya, comme une bouteille à la mer, sans trop y croire, un exemplaire de son manuscrit à ce qui deviendra sa fidèle maison d’édition : Julliard.
Lorsque j’ai rencontré l’auteur Arnaud Cathrine lors d’un salon littéraire, je lui racontais mon grand intérêt pour les livres de Mr Besson. Il me confiait qu’il était à l'époque lecteur pour Julliard et que, subjugué par ce manuscrit qui venait d’on ne sait où, d’on ne sait qui, il alarma la maison d’édition : « Là on tient quelque chose de fort », je le cite.
Mais je digresse, je digresse, revenons au sujet principal de ce billet : le nouveau roman de Philippe Besson ! C’est suite aux questions de ses lecteurs que P. Besson s’interrogea sur ce qu’aurait pu devenir son personnage de Vincent de l’Etoile. La réponse à ces interrogations se trouveront donc dans « Retour parmi les hommes ». D’après les informations données dans cet article du blog de Cultura, on apprend que Vincent va s’enfuir, dans des périples qui l’amèneront en Italie, en Afrique et au Moyen-Orient (et là je me rappelle de Louise dans « Se résoudre aux adieux » qui elle aussi part en exil pour fuir un amour blessé, mais je pense également à Rimbaud, le poète aux semelles de vent, qui est le personnage central de « Les Jours Fragiles »), puis termine sa course à New York, au début des années 20, époque de grands bouleversements en Amérique (et thème déjà abordé dans « L’Homme Accidentel » et totalement développé dans « La Trahison de Thomas Spencer »). Quand il doit finalement retourner à Paris, les espoirs de Vincent renaissent grâce à la rencontre d’un jeune romancier : Raymond Radiguet (l’auteur de « Le Diable au corps », cette sulfureuse histoire d’amour entre un jeune homme et une femme d’âge mûr). Tous deux vont vivre l’insouciance des années 30, des années folles, avant que la fatalité refasse son apparition.
Je terminerai en confiant que je suis très impatient (comme un oisillon qui attend la becquée ^^) de lire « Retour parmi les hommes », qui comme la plupart des romans de Philippe Besson, sort au moment de mon anniversaire et que je m’offre toujours en cadeau ! D'autant plus que P. Besson termine son interview en confiant que ce dernier livre est peut-être son " roman le plus personnel " !
P.S. : en cliquant ici, vous pourrez lire l’article du blog Cultura.
mercredi 24 novembre 2010
" Lady Susan " de Jane Austen
Titre : " Lady Susan "
Auteur : Jane Austen
Editeur : Editions Gallimard (livre de poche collection Folio)
Editeur : Editions Gallimard (livre de poche collection Folio)
115 pages
L’intrigue de Lady Susan se déroule au cœur l’aristocratie anglaise de la fin du 18ème siècle. Lady Susan est depuis quelques mois veuve. Se retrouvant fâcheusement sans le sou, elle et sa fille Frederica sont accueillies et hébergées par leurs connaissances.
Le dernier séjour de Lady Susan à Langford chez les Manwaring va laisser un souvenir mémorable à ses hôtes. En effet, Lady Susan s’attire les convoitises de deux hommes, Mr Manwaring ainsi que le jeune Sir James que Melle Manwaring, la sœur de Mr, se verrait bien d’épouser. Lady Susan sème la détresse dans la famille, rendant accablée de jalousie une épouse et privant une jeune femme de son prétendant. Il faut dire que la dame est d’une beauté remarquable qui n’a d’égal que son éloquence et sa spiritualité. Lady Susan dupe son monde par ses attraits et son verbe exercé.
L’affaire fait grand bruit dans le huis-clos mondain de Langford et se propage même au-delà, par lettres et missives pleines de commérages et de médisances. La réputation de Lady Susan prend de l’ampleur et la devance : on la savait charmeuse et habile avec les mots, on sait désormais à quoi s’en tenir avec cette femme !
Bien entendu les Manwaring mettent un terme à leur hospitalité suite à cette histoire et Lady Susan se voit contrainte de se réfugier dans la campagne de Churchill, auprès du frère cadet de son défunt mari, M. Vernon, et de son épouse. Cette dernière, Mme Vernon, est tenue au courant de la réputation sulfureuse de Lady Susan et redoute sa compagnie. Et elle a raison, puisque son frère, Sir Reginald de Courcy, tombe sous son charme. La famille de Courcy craint un possible mariage entre Reginald et Lady Susan. Officieusement, l’héroïne du livre trouverait avantageux d'épouser un tel bon parti. Puisque Manwaring n’est pas libre, pourquoi pas le jeune de Courcy ?
D’autre part, Lady Susan est agacée de devoir s’occuper de sa fille qu’elle méprise (et pour cause, elle est son absolu contraire : désintéressée, romantique, innocente). Elle tient absolument à la marier, à Sir James puisque finalement elle s’en est personnellement lassé. Mais Frederica est effondrée à l’idée d’épouser un homme dont elle ne ressent rien et se confronte à la froide rigidité de sa mère qui compte bien lui rendre la vie insupportable tant qu’elle n’abdiquera pas. En s’informant sur Jane Austen, on apprend que l’éveil à l’amour ainsi que la question des femmes et du mariage à son époque (fin 18ème siècle) sont deux sujets récurrents dans son œuvre.
Alors, Frederica et Reginald seront-ils les deux victimes des ambitions de Lady Susan ? Voici la trame qui se file au cours des lettres et billets de ce roman épistolaire.
Ce qui a suscité mon intérêt, c’est l’antipathie immédiate que l’on a pour Lady Susan. Elle nous est dépeinte tantôt comme une coquette qui veut se divertir au détriment des autres, ou telle une stratège dénuée de scrupules, prête à tout pour arranger ses petites affaires. Je dois vous confier que j’aime assez les personnages pernicieux et comploteurs, il y a quelque chose d’exutoire quand on lit leurs mésaventures.
Portrait de Jane Austen |
Je suis également assez friand des romans épistolaires car je trouve que c'est une forme qui ajoute quelques épices à un récit. Les personnages se confient à d’autres et le lecteur entre dans leur intimité. On a l’impression de détenir des vérités que les autres protagonistes de l’histoire ignorent totalement. Il y a du secret dans tout cela.
Cependant, je dois avouer que j’ai été globalement déçu par ce roman. Je m’attendais à un peu plus de malice et de génie de la part des personnages. J’ai trouvé le récit un peu fade. Quand j’avais fini une lettre, je ne me disais pas : « Oh bon sang ! Il faut absolument que je continue pour savoir ce qui se complote ! ». Pas déplaisant, mais pas captivant non plus.
Pour dernière information, Jane Austen est la célèbre auteur d’Orgueil et Préjugés, un classique de la littérature que je compte bien lire un jour malgré mon avis désappointé de Lady Susan, qui n’est finalement qu'une œuvre mineure de cette grande dame du roman anglais.
mardi 9 novembre 2010
Alexandre Tharaud interprète "Gnossienne n°1" d'Erik Satie
Alexandre Tharaud fait partie de ces artistes qui me font aimer la musique classique. J'aime la musique classique car elle est vecteur d'émotions. Tout comme la lecture.
Si vous souhaitez en connaître davantage sur Alexandre Tharaud je vous mets en lien son site officiel ...
... ainsi que l'adresse du blog de quelqu'un qui, pour le coup, en connaît un rayon sur ce grand pianiste. J'apprécie énormément ce blog parce qu'on y apprend beaucoup sur les interpétations d'A. Tharaud et je prends toujours plaisir à lire l'enthousiasme de ce "grand fan" :
dimanche 7 novembre 2010
" Cosmétique de l'ennemi " d'Amélie Nothomb
Titre : " Cosmétique de l'ennemi "
«_ Et vous venez m’embêter simplement parce qu’il y a trente ans, vous avez mangé de la bouffe pour chats ? Vous êtes une infection, monsieur. Il y a des médecins pour les gens comme vous.
« Bon sang, ces gens qui n’ont tué personne sont d’une sensiblerie ! »
Auteur : Amélie Nothomb
Editeur : Editions Albin Michel
Editeur : Editions Albin Michel
« Cosmétique, l’homme se lissa les cheveux avec le plat de la main. Il fallait qu’il fût présentable afin de rencontrer sa victime dans les règles de l’art. »
Cet homme qui s’apprête à commettre son méfait dès les premières lignes du roman c’est Texel. Textor Texel.
La victime ? Il s’agit de Jérôme Angust, modeste homme d’affaires en partance pour Barcelone et qui vient d’apprendre qu’en raison de problèmes techniques, son avion serait retardé pour une durée indéterminée. Ravalant sa colère et se décidant à patienter dans la salle d’attente, contre mauvaise fortune bon gré, voilà que le fameux Texel vient approcher sa proie.
À cet instant précis, le piège se referme.
Effacez de votre imagination toute scène de crime sanguinaire, de lacérations et autres armes à feu. Non, les coups portés seront bien plus subtiles, pernicieux et pervers.
Au début vous croirez à un simple importun qui vient emmerder un pauvre type déjà sur les nerfs. Vous rirez du malheur de Jérôme Angust qui ne peut mettre fin à l’insistance, la logorrhée… le harcèlement auditif de Texel ! Et puis, le dialogue se filant, vous découvrirez dans quelle spirale infernale les deux protagonistes se sont enfermés. Avec une fin apothéotique !
C’est fâcheux, je ne peux vous en dire plus. Ce serait gâcher les jouissifs effets de surprise dont regorge ce roman.
Alors je vous dirai que je me suis délecté de la lecture de Cosmétique de l’ennemi. Plusieurs raisons à cet enthousiasme. Pour ceux qui ont déjà lu Amélie Nothomb, ils retrouveront son humour et sa plume si singulière, c'est-à-dire des réparties pleines d’aplomb, vives et spirituelles, des bizarreries, de comiques incongruités, des loufoqueries et autres situations cocasses.
Quelques extraits pour vous donner un aperçu :
«_ Quand nous nous sommes retrouvés à l’extérieur du cimetière, rue Rachel, je lui ai demandé comment elle s’appelait. Elle m’a craché au visage. Je lui ai dit que je l’aimais trop pour l’appeler crachat.
_ Vous êtes un romantique. »
«_ Et vous venez m’embêter simplement parce qu’il y a trente ans, vous avez mangé de la bouffe pour chats ? Vous êtes une infection, monsieur. Il y a des médecins pour les gens comme vous.
_ Je ne suis pas venu pour me faire soigner par vous. Je suis venu pour vous rendre malade.
_ Ça vous amuse ?
_ Cela me ravit. »
« Pourquoi irai-je chez un psy quand il y a des aéroports pleins de gens désœuvrés tout disposés à m’écouter ? »
«_ Ce n’est que le premier mort qui compte. C’est l’un des problèmes de la culpabilité en cas d’assassinat : elle n’est pas additionnelle. Il n’est pas considéré comme plus grave d’avoir tué cent personnes que d’en avoir tué une seule. Du coup, quand on en a tué une, on ne voit pas pourquoi on se priverait d’en tuer cent.
_ C’est vrai. Pourquoi limiter ces petits plaisirs de l’existence ?
_ Je vois que vous ne me prenez pas au sérieux. Vous vous moquez. »
« Bon sang, ces gens qui n’ont tué personne sont d’une sensiblerie ! »
Ce roman, qui n'est en fait qu'un long dialogue entre les deux personnages, est une mine d’affirmations culottées ou immorales, mais si bien argumentées que les bras vous en tombent. Dans la bouche de Textor Texel, le mal devient quelque chose de naturel et de constructif, et on se régale de lire les développements de ce détraqué mental. Autant d’assurance et d’aplomb, c’est déconcertant ! En voilà une preuve :
«_ C’est flatteur un viol. Ça prouve qu’on est capable de se mettre hors la loi pour vous.
«_ C’est flatteur un viol. Ça prouve qu’on est capable de se mettre hors la loi pour vous.
_ La loi. Vous n’avez que ce mot à la bouche. Vous croyez que cette malheureuse pensait à la loi quand vous … ? Vous mériteriez d’être violé pour comprendre.
_ J’aimerais beaucoup. Hélas, personne ne semble en avoir eu l’envie. »
Mais rassurez-vous, Cosmétique de l’ennemi ne fait pas l’apologie de la cruauté. C’est juste très cynique, très insolite et ... surréaliste.
Ce fût une lecture vive et très agréable, drôle et captivante, dont le suspens et les rebondissements vous tiennent jusqu'à la dernière page. Ce roman ne ressemble en rien à ce que l'on a l'habitude de lire alors laissez-vous tenter par l'expérience !
samedi 6 novembre 2010
"Suites Bergamasques : Claire de Lune " de Claude Debussy (interprété par Maria Kovalszki)
Je ne connais rien à la musique classique mais je pense qu'avec Debussy, nul besoin d'être mélomane, il y a cette chose incroyable qui fait que quand on écoute ses oeuvres, "Jardin sous la pluie", "La Mer" ou encore "Claire de Lune", il suffit de fermer les yeux et il est si simple de s'imaginer les gouttes de pluie qui tombent sur les feuilles, les vagues échouées sur les galets, de ressentir la mélancolie du soir.
vendredi 5 novembre 2010
Citation
" Moi ce que j'aime dans la vie, ce sont les nuisances autorisées. Elles sont d'autant plus amusantes que les victimes n'ont pas le droit de se défendre. "
(Cosmétique de l'ennemi d'Amélie Nothomb)
jeudi 4 novembre 2010
mercredi 3 novembre 2010
" Sweet Home " d'Arnaud Cathrine
Titre : " Sweet Home "
Auteur : Arnaud Cathrine
Editeur : Editions Gallimard (livre de poche Folio)
Une maison de vacances sur la côte normande, les étés au bord de la plage, une famille. Le décor serait planté pour un bonheur simple, fait de bains de mer et de douce oisiveté. C’est pourtant un drame qui se profile à l’horizon, à l’horizon des falaises.
Susan, la mère, dépérit de jours en jours et veut mettre fin à son existence. Témoins accablés, son mari et ses enfants redoutent le moment fatidique, qui malheureusement finit par arriver.
Trois étés se déroulent dans ce roman. Trois étés à dix ans d’intervalle. Chacun à leur tour, Lily, Vincent et Martin prennent la parole et tentent d’expliquer le geste de leur mère, de combler le silence pesant dans lequel s’est enfermée leur famille, de se construire au-delà de ce vide qui désormais les habite. Une chose est sûre, même s’ils tentent de se fuir, et de fuir tout simplement, leur fraternité, leurs destins sont liés par ce tragique évènement, tout comme leurs souvenirs sont ancrés en cette villa où ils reviennent chaque été. On les voit grandir, se perdre, prendre des pentes douces et dangereuses mais à la fin, la vie leur apporte une raison de continuer. Pour eux-mêmes d’abord, et puis parce que tant qu’ils vivront, une part de leur mère restera en vie.
« Se peut-il qu’on ait fait tout ce chemin sans elle ? Ce chemin de rien, qui consiste juste à faire ce que l’on peut, avec un trou dans le ventre, devenir qui l’on croit bon devenir, avec cet enthousiasme gris, cette joie toujours rattrapée par un regard lancé au ciel et laissé sans réponse. On aura beau dire, nos constructions hasardeuses ne parviennent pas à se passer d’elle. Combien d’année après ? »
L’histoire commence avec le livre de Lily. C’est à travers son regard que nous est dépeint le point de départ de cette famille. Susan est déjà atteinte de dépression lorsque démarre le roman. Son dernier été à La Viguière sera le plus déchirant pour ses proches. Elle ne sort plus de sa chambre, elle a disparu de sa propre vie. Son mari est désemparé, ne sait que faire, lui qui est déjà brisé par plusieurs années de désamour. À ses côtés, Remo, son frère et double fantomatique, celui dont on n’a attribué aucune vraie place dans cette famille, mais qui reste là, peut-être parce que rien ne l’attend ailleurs, peut-être parce que seule la présence de Susan et de Martin suffit à son bonheur. D’ailleurs, pourquoi témoigne-t-il tant d’affection pour son neveu ? Un secret de famille serait-il derrière tout cela ? Vincent et Lily sont lycéens et ont déjà perdu leur innocence, privilège de l’enfance. Ils ne supportent plus la scène qui se déroule devant leurs yeux et s’interrogent sur les non-dits où se sont mués les adultes. Seule source de lumière et d’insouciance dans ce noueux cocon : le petit Martin, celui qui ne dit rien pour l'instant parce qu’il n’a pas encore les clefs pour interpréter ce dont il est témoin. Nathan, le fils des voisins, ancien camarade d’enfance de Lily et Vincent, refait son apparition. Lui aussi fuit un foyer familial compliqué. Il intègre le noyau constitué autour de Susan et devient le « fils adopté ».
« C’est la première fois que maman reste aussi longtemps rue de la Santé. Je devrais dire Sainte-Anne, mais papa et Remo nous ont appris à dire « rue de la Santé ».
« Santé » et voilà le chien bien muselé, contraint d’étrangler sa rage.
Les deux frères n’ont jamais fait usage des mots qu’à la façon d’une camisole. Ainsi accusent-ils la « fatigue » lorsqu’il est convenu d’évoquer maman : « Votre mère est fatiguée ». De là, l’axiome parfaitement présentable et inoffensif qui veut que la « fatigue » mène tout bonnement « rue de la Santé ».
[…] »
Sept ans plus tard, c’est Vincent qui prend la parole. Vincent est devenu auteur. A travers ses romans, c’est un peu de son chagrin qu’il tente d’évacuer. Cependant, il s’interdit son « livre impossible », celui qui mettrait à jour toutes les cicatrices familiales, celui qui le libèrerait peut-être, mais qui ferait souffrir son entourage. Alors, en attendant, il camoufle ses tourments dans des fictions. C’est le septième été à La Viguière après le décès de sa mère qui nous est décrit à travers ses mots. Martin a bien grandi et le temps est compté avant que la bombe qui couve en lui ne se déclenche. Vincent s’inquiète pour lui, sachant très bien ce qui l’attend. Il devient son gardien.
« Martin m’attendait dans le salon.
_ Il faut pas le dire à papa, a-t-il murmuré, un doigt sur la bouche.
_ Qu’est-ce qu’il ne faut pas dire ?
_ Qu’on va tirer un feu d’artifice avec Nathan…
Je lui ai souri.
_ Non, on ne dira rien.
_ C’est un secret, a-t-il murmuré.
Un jour, tu sauras ce qu’il en coûte de porter les vrais secrets, ai-je pensé en regardant mon petit frère filer dans sa chambre. Un jour, tu comprendras que pas une heure ne se passe sans qu’il ne faille se taire, compter et se tenir droit pourtant, comme innocent, alors que croupissent dans nos consciences des décharges entières que nous avons mis un point d’honneur à traîner en silence, certains que personne n’y verra rien, quand nous puons et nous trahissons sans même nous en apercevoir. »
Enfin, Martin clôture la série des étés qui se sont déroulés depuis la disparition de sa mère. Si Lily et Vincent sont parents ou en phase de le devenir, le petit dernier, celui qui a été tant protégé, est peut-être le frère dont la chute est la plus visible. Désertant la fac, ne sachant qui devenir, que faire de sa vie, il vivote au frais de ses aînés. Trop de questions se posent en lui, trop peu de souvenirs de sa mère auxquels se raccrocher : Martin est à la dérive.
«_ Pourquoi ça n’a pas marché chez nous ?
_ Tu parles de quoi, petit ?
_ Notre famille. Tu vois bien comment ça a poussé. Mal poussé. On aurait pu très bien se débrouiller sans maman. Vous avez tout fait pour. Et regarde comme on se traîne … Qu’est-ce qui s’est passé ? Parfois je me dis qu’il s’en est fallu de peu … »
Heureusement le destin rattrape Martin au travers d’un autre évènement : le soudain coma de Nathan, son fidèle ami, pour qui il voudra se battre. Et cela finira par réunir les trois enfants et à perdurer le souvenir de leur mère.
C’est le troisième roman d’Arnaud Catherine que je lis et je dois avouer que je ne suis pas sûr d’être à 100 % objectif quand je parle de ses livres, tant son écriture et ses personnages font résonner en moi une corde sensible. Est-ce le sentiment de perdition qui anime ses personnages ? La lutte qu’ils mènent pour l’accomplissement de soi ? Peut-être leurs parts d’ombre qui, parce que la lumière naît de l’obscurité, rend la vie et ses moments de joie si précieux.
C’est une très belle plume que celle d’Arnaud Cathrine. Elle mêle la profondeur des sentiments à une certaine pudeur.
Ce qui me touche particulièrement chez A. Cathrine, c’est sa vision de la famille. C’est très troublant parce qu’on ne peut savoir en le lisant, s’il faut la considérer comme un héritage trop lourd ou comme un cocon protecteur. De toutes mes lectures, je trouve qu’il décrit le mieux la complexe mécanique qui fait le rouage de chaque famille, avec son lot d’intimité, d’amour et de reproches. Si je peux me confier un peu, je suis fils unique et quand je lis Arnaud Cathrine, quand il décrit ces liens fraternels faits d’attraction et de répulsion, de protection ou de quête d’amour, je ressens comme un déchirement en moi. En bien ou en mal, j’aurais aimé avoir un frère comme dans les romans d’A. Cathrine, quelqu’un avec qui partager une histoire commune, quelqu’un qui puisse me servir de repère, qui puisse m’éclairer par son expérience, ou bien quelqu’un à protéger, à guider.
Lectures croisées :
Pour ceux qui ont lu précédemment « Le Journal Intime de Benjamin Lorca », d’A. Cathrine également (un de mes livres préférés, sans hésitation), ils retrouveront des thèmes qui semblent chers à cet auteur.
Pour ceux qui ont lu précédemment « Le Journal Intime de Benjamin Lorca », d’A. Cathrine également (un de mes livres préférés, sans hésitation), ils retrouveront des thèmes qui semblent chers à cet auteur.
Tout d’abord il s’agit là à nouveau d’un livre polyphonique, où la disparition d’un être est le point central du roman, se faisant réunir plusieurs voix, des proches qui racontent leurs liens et le manque de celui ou celle qui n’est plus de ce monde.
Ensuite le fameux « livre impossible ». Benjamin Lorca tout comme Vincent dans Sweet Home sont auteurs et se refusent d’écrire leur propre histoire pas peur de tout anéantir autour d’eux. Je soupçonne Arnaud Cathrine d’avoir lui aussi un livre impossible à écrire…
D’autres éléments sont communs aux deux livres : la côte normande et ses villes balnéaires (Deauville, Trouville-sur-mer, Bénerville, Blonville-sur-mer…) qui sont des endroits que je connais en tant que normand et où j’apprécie me balader. Et puis les casinos, où Remo dans Sweet Home, tout comme Benjamin Lorca, vont s’y réfugier et faire tinter les pièces pour oublier et creuser leur perdition.
On retrouve également dans les deux romans l’évocation d’une longue histoire d’amour « ni avec toi, ni sans toi » (phrase de Truffaut). Martin tout comme Benjamin Lorca ont rencontré un jour la fille avec qui ils mènent des vies bien distinctes mais indéfectiblement liées. Pas vraiment ensemble, pas vraiment séparés. Une liaison qui semble étrange à leurs proches. Peu importe si personne n’y comprend rien, ils auront pour eux : une histoire. Là aussi, faut-il croire à un aveu de l’auteur ?
Enfin, je pense qu’il faut que je regarde le film « Le Feu Follet » de Louis Malle, car il est évoqué dans les deux romans.
Je ne sais si ces lectures croisées furent d’un grand intérêt mais c’est un exercice auquel je me prête avec plaisir lorsque je m’intéresse à un auteur, comme Philippe Besson par exemple. Après tout la force d’un artiste réside aussi dans ses obsessions !
Donc voilà en conclusion je recommande chaudement Sweet Home ainsi que Le Journal Intime de Benjamin Lorca de l’excellent Arnaud Cathrine !
Donc voilà en conclusion je recommande chaudement Sweet Home ainsi que Le Journal Intime de Benjamin Lorca de l’excellent Arnaud Cathrine !
mardi 2 novembre 2010
Le " Tic Toc Choc " de François Couperin (interprété par Grigori Sokolov)
François Couperin (1668-1733) fût un compositeur, organiste et claveciniste français très réputé
au 18 ème siècle.
A ce que j'en ai compris, ce morceau surnommé le " Tic Toc Choc " à cause de son rythme et de sa mécanique, mais originellement baptisé " Les Maillotins ", est d'une grande difficulté. En effet, il se joue à la base sur un clavecin à double clavier et son adaptation pour le piano implique une grande dextérité
( à ce que l'on peut s'apercevoir sur cette vidéo ! ).
lundi 1 novembre 2010
Citation
" Ce n'est pas dans un monde malheureux que j'ai grandi mais dans un monde menteur. Et si la chose est vraiment bien menteuse, le malheur ne se fait pas attendre longtemps ; il arrive alors, tout naturellement. "
(Mars de Fritz Zorn)
dimanche 31 octobre 2010
Alexandre Tharaud interprète "Nocturne No.20 (Op. Posthume)" de Frédéric Chopin
( Alexandre Tharaud dans l'émission " La Boîte à Musique " présentée par Jean-François Zygel, France 2,
été 2010 à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Chopin )
samedi 30 octobre 2010
Citation
" Sait-on jamais quelle force vous tient à distance de celui ou celle que vous auriez dû devenir ... Seuls les livres lui apporteraient dorénavant un havre d'indépendance. Et la musique. "
(Sweet Home d'Arnaud Cathrine)
vendredi 29 octobre 2010
Extrait des " Poèmes à Lou " de Guillaume Apollinaire
Dans le ciel les nuages
Figurent ton image
Le mistral en passant
Emporte mes paroles
Tu en perçois le sens
C'est vers toi qu'elles volent
Tout le jour nos regards
Figurent ton image
Le mistral en passant
Emporte mes paroles
Tu en perçois le sens
C'est vers toi qu'elles volent
Tout le jour nos regards
Vont des Alpes au Gard
Du Gard à la Marine
Et quand le jour décline
Quand le sommeil nous prend
Dans nos lits différents
Nos songes nous rapprochent
Objets dans la même poche
Et nous vivons confondus
Dans le même rêve éperdu.
Mes songes te ressemblent
[...]
Guillaume Apollinaire
Alors qu'il s'était engagé dans l'armée française lors de la Première Guerre Mondiale, Apollinaire était épris de Louise de Coligny-Châtillon, qu'il surnomma Lou et à qui il adressa une correspondance d'une poésie remarquable, rassemblée aujourd'hui dans les Poèmes à Lou.
Depuis très longtemps je suis attaché à ces quelques vers. L'idée d'être séparé de l'être aimé est terible, mais quel bonheur et quelle magie que de le rejoindre chaque nuit, dans la chaleur des draps, grâce aux charmes de l'onirisme.
Après tout, la nuit, le ciel est le même pour tous, et "Nos songes nous rapprochent / Objets dans la même poche".
mercredi 27 octobre 2010
" Quand Souffle le Vent du Nord " de Daniel Glattauer
Titre : " Quand Souffle le Vent du Nord "
Auteur : Daniel Glattauer
Editeur : Editions Grasset
350 pages
Auteur : Daniel Glattauer
Editeur : Editions Grasset
350 pages
On connaissait le genre du « roman épistolaire », avec notamment les célèbres et captivantes « Liaisons Dangereuses » de Choderlos de Laclos (une référence pour moi, si je peux me permettre). Depuis « Quand Souffle le Vent du Nord » de l’allemand Daniel Glattauer, il faudrait également ajouter la catégorie « roman e-mailaire » au répertoire de la littérature. Laissez moi donc vous transmettre mon avis (très) enthousiaste sur cette romance on ne peut plus moderne !
Lassée du magazine « Like » dont elle est abonnée, Emmi Rothner décide d’en faire la résiliation par courriel. C’est alors qu’une erreur dactylographique vient discrètement s’introduire dans l’adresse de son destinataire : Emmi tape woerter@leike.com au lieu de woerter@like.com. « Woerter » comme le nom de sa ville et « Like » comme le titre de ce mensuel locale. Une erreur idiote, un simple « e » glissé devant un « i ». Une bourde qui va bouleverser sa vie.
C’est donc une toute autre personne qui recevra cet e-mail : Leo Leike, qui lui aussi vit à Woerter.
L’histoire aurait pu s’achever ainsi, par des « Vous avez la mauvaise adresse. Je suis un particulier. […] » et des « Oh pardon ! Et merci pour ces explications. Bien à vous, E.R. ». Cependant, de ces bévues bureautiques va s’ensuivre un dialogue, une correspondance intime, troublante et passionnée.
Mais reprenons par le début. Emmi Rothner est mariée et a deux enfants. Leo, lui, se remet à peine d’une grande rupture sentimentale. Elle crée des sites internet pour des entreprises, il est conseiller en communication et travaille à l’université sur le langage dans les courriels (et les mails comme vecteurs d’émotions, au passage). On serait en droit de se dire que ces deux là étaient faits pour se rencontrer !
Suite à ces maladresses informatiques et alors qu’ils commencent à nouer une correspondance de plus en plus fidèle (d’abord quelques premiers e-mails sur un ton humoristique et taquin, puis subrepticement dans le registre de la confession), ils décident qu’ils ne parleront pas de leur entourage, ni de détails personnels comme leur travail et leur famille. Ils n'évoqueront que leurs humeurs, leurs sentiments, leurs joies et leurs peines, et rien d’autre qui puisse révéler leur identité. Ils excluent également toute idée de rencontre. Le pacte est conclu : jamais ils ne se verront en personne.
« Chère Emmi, avez-vous remarqué que nous ne savons absolument rien l’un de l’autre ? Nous créons des personnages virtuels, imaginaires, nous dessinons l’un de l’autre des portraits-robots illusoires. Nous posons des questions dont le charme est de ne pas obtenir de réponses. Oui, nous nous amusons à éveiller la curiosité de l’autre, et à l’attiser en refusant de la satisfaire. Nous essayons de lire entre les lignes, entre les mots, presque entre les lettres. Nous nous efforçons de nous faire de l’autre une idée juste. Et en même temps, nous sommes bien déterminés à ne rien révéler d’essentiel sur nous-mêmes. « Rien d’essentiels », c’est-à-dire ? Rien du tout, nous n’avons encore rien raconté de notre vie, rien de ce qui fait notre quotidien, rien de ce qui est important pour nous.
Nous communiquons au milieu d’un désert. […] Nous savons grâce à un mauvais magazine local que nous habitons dans la même ville. Mais à part cela ? Rien. Il n’y a personne autour de nous. Nous habitons nulle part. Nous sommes sans âge. Nous sommes sans visage. Nous ne faisons pas la différence entre le jour et la nuit. Nous vivons hors du temps. Nous sommes retranchés derrière nos écrans, et nous avons un passe-temps commun : nous nous intéressons à un parfait inconnu. Bravo ! » (Leo, chapitre 1, p.29)
Et pourtant, au fil des courriels et des péripéties de leurs vies réelles respectives, cette relation virtuelle va prendre toute la place dans leurs têtes et dans leurs cœurs. Pour Leo, cette Emmi dont il aime les traits d’humour, l’emportement et la mauvaise foi, avec qui il partage des confidences, des moments tendres ou des rêveries plus charnelles, devient la femme dont il espère, qu’il attend, pour faire le deuil d’une histoire d’amour.
« Ecrire, c’est comme embrasser, mais sans les lèvres. Ecrire, c’est embrasser avec l’esprit. Emmi, Emmi, Emmi. » (Leo, chapitre 4, p.136)
Emmi, qui se dit mariée et heureuse, trouve en ce Leo une échappatoire, une pause dans sa vie familiale, un accès vers un monde extérieur, dans lequel elle aime s’attarder, de plus en plus, jusqu’à tomber amoureuse de son partenaire de mails.
« Souvent, il est le premier de la journée à entendre parler de moi. Souvent, il est le dernier à qui je parle avant d’aller me coucher. Et la nuit, quand je n’arrive pas à dormir, quand le vent du nord souffle […] j’écris un mail à cet homme. Et il me répond. Dans ma tête, ce type est un merveilleux remède contre le vent du nord. Ce que nous écrivons ? Oh, rien que des choses personnelles, des choses sur nous, ce que nous ferions tous les deux […] » (Emmi, chapitre 7, p. 256)
Au cours de leur liaison virtuelle, qui coure sur presque plus d’un an, des doutes vont bien évidement assaillir les deux protagonistes : en effet, comment poursuivre une telle histoire sans qu’il n’y ait eu le point de départ : la rencontre ! Que se dire après autant de temps, quand on ne partage rien d’autre que des courriels ? Faut-il finalement se rencontrer physiquement pour poursuivre l’aventure ?
« J’aimerais que nous continuions à nous écrire. Et j’aimerais vous rencontrer en personne. Nous avons déjà raté tous les moments propices. Nous avons rejeté les règles les plus simples des relations humaines. Nous sommes de vieux amis, nous nous apportons un soutien quotidien, nous sommes même parfois un couple. Et malgré tout cela, il nous manque le début, la rencontre. Je ne sais pas encore comment la mener à bien sans rien perdre de ce qui nous lie. Et vous ? » (Leo, chapitre 5, p.159)
« Deux jours plus tard
Pas d’objet
C’est triste Emmi, nous n’avons plus rien à nous dire.
Dix minutes plus tard
RE :
Peut-être n’avons-nous jamais rien eu à nous dire.
Huit minutes plus tard
RÉP :
Mais nous avons beaucoup parlé. » (Chapitre 7, p. 234)
Bien entendu, la question qui fait office de fil rouge dans le récit et pour laquelle les deux personnages, tout comme le lecteur, brûlent d’impatience de connaître la réponse : vont-ils se rencontrer pour de vrai ? Faut-il ou ne faut-il pas qu’ils brisent leur pacte pour enfin mettre un visage sur leur correspondant ? Si l’un et l’autre sont tombés amoureux des mots de leur partenaire de mails, cette séduction tiendra-t-elle le coup face à une rencontre physique ? Et s’ils étaient déçus ? Si l’être imaginaire qu’ils avaient bâti sur ses écrits ne correspondait pas à la réalité ?
« Nous sommes chacun la voix de l’imagination de l’autre. N’est-ce pas assez beau et précieux pour en rester là ? » (Leo, chaître 3, p. 122)
Ce que j’ai particulièrement apprécié dans la lecture de « Quand Souffle le Vent du Nord », c’est que ce roman parvient à mettre en reliefs toute les subtilités et les complexités nouvelles que nous vivons à travers les nouvelles technologies. Toutes les libertés que nous prenons lorsque nous sommes derrière nos écrans. Savoir que nous sommes prêts à nous dévoiler, même de façon anonyme, devant de lointains et parfaits inconnus alors que nous aurions des difficultés à nous livrer auprès de nos proches, je trouve cela intriguant et source de nombreuses questions. Il n’y a qu’à voir la masse indéterminable de blogs ou de réseaux sociaux qui grouillent sur le net, où certains s’épanchent, se confient, partagent leur quotidien et jusqu’à des choses très personnelles à une communauté d'étrangers. L’ordinateur est-il cet écran derrière lequel nous pouvons nous mettre à nu ?
« Cher Leo, je vous en prie, mettez-vous à ma place. Je vous avoue qu’il y a longtemps que je n’avais pas échangé avec quelqu’un des émotions aussi violentes. Je suis d’ailleurs étonnée que cela soit possible de cette façon. Dans mes mails, je peux être comme jamais la véritable Emmi. Dans la « vraie vie », si on veut réussir, si on veut tenir le coup, il faut sans cesse faire des compromis avec sa propre émotivité ! LÀ, je ne dois pas dramatiser ! ÇA je dois l’accepter ! ÇA, je dois le laisser passer ! Nous adaptons en permanence nos sentiments à notre entourage, nous ménageons ceux que nous aimons, nous nous glissons dans les cent petit rôles du quotidien, nous nous tenons en équilibre, nous pesons le pour et le contre pour ne pas mettre en danger la structure à laquelle nous appartenons.
Avec vous, cher Leo, je n’ai pas peur de laisser libre cours à ma spontanéité profonde. Je ne réfléchis pas à ce que je peux ou ne peux pas vous imposer. J’écris allègrement ce qui me vient à l’esprit. Et cela me fait un bien fou !!! C’est grâce à vous, cher Leo, et c’est pourquoi vous m’êtes devenu indispensable : vous m’acceptez comme je suis. » (Emmi, chapitre 4, p.153)
Quand au style développé au cours de ce roman, c’est très étrange la sensation qui en ressort. J’ai presque envie de faire un parallèle avec une pièce de théâtre où il n’y aura pas de décor, plateau vide, aucun acteur non plus sur scène, mais leurs voix qui se répondent depuis chacune des coulisses. Une sorte de dialogue sans fin, sans discontinuité, distordu dans le temps et l’espace. Très troublant, il n’y a aucune notion de temps ni de lieu. À l’exception de « Trois jours plus tard », « Deux heures et demi plus tard », « Une minute plus tard », rien ne nous indique, à moins que les protagonistes ne l’indiquent, si nous sommes le jour ou la nuit, sur l’ordinateur familiale ou au bureau, un jour de pluie ou de soleil. Nous ne savons pas à quoi ressemblent les personnages, ni dans quelle humeur ils se trouvent au moment d’écrire, s’ils affabulent ou se confient en toute sincérité… Tout se passe au travers de l’écriture. Aux lecteurs d’y détecter ce qu’y se cache entre les lignes. Quand je dis « lecteurs », il s’agit de nous bien entendu, mais aussi d’Emmi et de Leo qui, finalement, se retrouvent dans la même posture que nous, ce qui fait l'intérêt du livre : ils ne savent rien l’un de l’autre, ils ne connaissent pas les intentions de leur correspondant et sont bien contraints, comme nous, d’imaginer l’autre, d’essayer de dévoiler les non-dits de ces phrases. Je vous avoue que des fois on a envie de répondre à leur place !
Ce fût vraiment une lecture très agréable, loin des clichés romantiques, avec beaucoup de modernité. J’ai eu le sentiment de m’immiscer dans les ports USB, les câbles éthernet de deux ordinateurs amoureux. J’avais parfois envie d’interpeller Leo ou bien Emmi : « non surtout n’écrit pas cela tu vas trop te dévoiler ! », « moi si j’avais voulu transmettre cette émotion, je l’aurais formulé ainsi … » etc.
Et ce roman contient pas mal de rebondissements, de suspens, d’actions inattendues. Et jusqu’aux dernières pages, le mystère subsiste : vont-ils se rencontrer ?
Vous connaissez le film « Vous avez un message (You’ve Got Mail) » avec Meg Ryan et Tom Hanks ? Vous savez, cette libraire new-yorkaise, qui, à la suite d’un détour par un forum de rencontres, tient une correspondance internet assidue avec ce qu’elle pense être l’homme idéal, avant de découvrir que celui-ci se trouve être le PDG d’une chaîne de bookstores, cette même chaîne qui vient d’implanter une succursale devant sa librairie et l’oblige, à coup de prix cassés et de consommation de masse, à fermer « The Shop Around the Corner ». Figurez-vous que j’étais en train de visionner ce classique de la comédie romantique américaine lorsque j’ai lu ce livre. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y faire un rapprochement.
Et puis, parce que nous avons tous eu au moins une fois dans notre vie le cœur qui palpite à la vision d’un e-mail attendu avec fébrilité, parce que nous nous sommes sûrement confiés un jour par la biais de ces courriels ou parce que peut-être les mails sont devenus un lien familial, amical ou social aussi fort qu’une parole, alors il faut que vous dévoriez les pages... pardon, les "e-mails" de « Quand Souffle le Vent du Nord ».
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